FAMILLE ET MISSION

Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur » déclarait André Gide. « Familles, je vous aime ! » s’exclamera pour sa part Luc Ferry pour intituler un ouvrage. Ces affirmations, aussi radicales que contradictoires, traduisent bien la diversité des opinions possibles au sujet de la famille et expriment la complexité attachée à cette dernière. Il s’agit, en réalité, d’une expérience doublement incontournable. D’une part, à un titre ou à un autre, l’être humain est un acteur de la vie familiale. C’est avec raison que l’on en parle comme de la cellule fondamentale de toute société. D’autre part, un jour ou l’autre, il arrive à chacun de se prononcer sur ce qu’il en a vécu. Sur cette base, la problématique centrale de la présente livraison de Spiritus intéresse universellement. En se penchant sur la question familiale, elle rejoint tout homme dans un aspect important de son existence et lui offre donc l’occasion d’en entreprendre une relecture pour en mesurer les limites et en apprécier les bienfaits.

Cependant, l’immense littérature disponible sur la famille en général permet de supposer que personne n’a attendu la présente parution de notre revue avant de trouver un instrument de réflexion sur son expérience familiale. Mais n’oublions pas que la famille n’a pas seulement affaire avec l’humain ; elle représente aussi un carrefour avec le divin. En effet, faut-il le rappeler, le monothéisme trinitaire revient à la confession d’une famille au sein même de Dieu. En intégrant cette donnée, notre dossier sur la famille se situe résolument dans une perspective qui articule conviction chrétienne et expérience humaine. À ce titre, il comporte un intérêt particulier. Il s’enracine dans les divers sols scripturaires et s’inscrit dans le contexte de la réflexion ecclésiale sur la famille. Cette dernière avait fait l’objet d’une assemblée synodale, du 26 septembre au 25 octobre 1980, qui a donné lieu à l’exhortation apostolique Familiaris consortio, promulguée le 22 novembre 1981. La prochaine Assemblée générale extraordinaire du synode des évêques, qui se tiendra à Rome du 5 au 19 octobre 2014, portera sur « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation ». L’évocation de ces événements ecclésiaux met en relief la double fonction du présent dossier. Il peut être accueilli comme un instrument rétrospectif permettant d’accompagner une évaluation de l’engagement actuel de l’Église dans le domaine familial. On peut également le recevoir comme un guide prospectif. En ce sens, ses différentes pièces fourniront des éléments de réflexion utiles pour une préparation intellectuelle et spirituelle au synode annoncé.

Dans le champ théologique, dont les contours viennent d’être rapidement tracés, l’apport singulier du présent cahier de Spiritus réside dans la visée missionnaire qui caractérise traditionnellement la revue. Ainsi, il ne s’agit pas de disserter globalement sur la réalité familiale du point de vue de la théologie. Il est précisément question de traiter de la famille comme sujet et comme objet de la mission évangélisatrice de l’Église. Cette démarche est menée en portant une attention particulière au cas de l’Afrique sans perdre de vue ce qui est vécu dans les autres continents.

Pour réaliser ce projet, nous mettons en oeuvre une méthode proche de la réalité étudiée : la variété des approches illustre bien la diversité des sensibilités au sein d’une famille ainsi que leur complicité autour d’un but commun. C’est dans une pareille perspective que les différents contributeurs à ce numéro ont mobilisé leurs compétences respectives pour offrir aux lecteurs des réflexions à la fois solides et accessibles sur un thème qui les concerne profondément. L’analyse de Mc 3, 31-35 présente un état des relations entre Jésus et les siens en dialogue avec les conceptions africaines de la famille. Celles-ci ne tiennent pas toujours compte des conditions de vie des Africains immigrés en Occident. D’où de regrettables malentendus entre famille proche et famille élargie. Par ailleurs, les mêmes relations familiales souffrent gravement du poids de la croyance en la sorcellerie. Pourtant la famille africaine est devenue un lieu théologique où se conceptualise la vie en Église depuis quelques décennies…

L’articulation de ces différentes dimensions de la famille autour de la problématique de l’évangélisation des sociétés actuelles appelle la reconnaissance de Spiritus envers les différents auteurs. Que l’ensemble de notre lectorat trouve dans le présent numéro des ressources stimulantes pour témoigner familialement du Christ d’une manière ou d’une autre !

Elvis Elengabeka