LA MISSION : FÉMINISER LE MASCULIN ET MASCULINISER LE FÉMININ

Comme les autres disciplines théologiques, la missiologie consiste essentiellement à tisser une passerelle entre divers aspects de l’existence humaine et différentes formes d’expression et de transmission de la Parole de Dieu. Le service de cette alliance s’opère en partant du pôle humain ou à partir du message divin, sans perdre de vue sa finalité : articuler de manière heureuse les deux réalités évoquées. Dans le cas de ce numéro de Spiritus, suivant la dynamique impulsée par Vatican II - on n’évangélise le monde qu’en l’écoutant (Gaudium et spes 1.3) - le point de départ s’enracine plutôt dans le débat sociétal contemporain où apparaissent des interrogations sur les identités féminine et masculine en lien avec l’organisation des rapports sociaux et le fonctionnement des institutions. Loin de laisser les gens indifférents ou de se limiter aux spécialistes, ces questions touchent la sensibilité de chacun au point de déchaîner des passions sinon violentes du moins difficilement maîtrisables.

À dire vrai, le problème n’a jamais cessé de préoccuper l’intelligence humaine. Il semble plutôt revêtir des figures diverses au gré des contextes historiques, géographiques ou culturels. Actuellement, il se pose à travers la désormais fameuse problématique du genre, qui se demande si la distinction de l’homme et de la femme relève radicalement de la nature ou résulte davantage d’un processus socioculturel. L’éviction des sexes au profit du genre implique-t-elle la reconfiguration de la mission ? Et comment les mutations qui adviennent dans la compréhension de l’humain modifient-elles nos traditions évangélisatrices ?

Pour contribuer à éclairer ces questionnements, notre revue propose un dossier consacré à l’implication de la féminité et de la masculinité dans la mission. Ce sujet, en raison de la complexité de ses enjeux et des domaines auxquels ils touchent, requiert une analyse interdisciplinaire que nous esquissons dans le présent dossier où se mêlent les voix de l’anthropologie, de l’exégèse biblique, de la théologie dogmatique, de la pastorale, de l’histoire de la mission et de la théologie spirituelle. Elles analysent le fonctionnement du rapport homme-femme dans certaines cultures (Anne-Béatrice Faye), montrent l’apport des femmes à l’engagement missionnaire ecclésial (Mary Motte), étudient les cas de complicité entre le féminin et le masculin sur le champ de la mission (Henriette Danet), se penchent sur la conjugalité (Paul-Dominique Marcovits ; Françoise et Rémi Gaussel), avant de remonter aux sources bibliques de la complémentarité entre l’homme et la femme (Elvis Elengabeka) et de récapituler tous ces apports dans une démarche prospective (Brigitte Cholvy) qui synthétise et éclaire les contributions précédentes.

En somme, notre dossier procède en trois étapes : éclairage d’un aspect de l’anthropologie contemporaine, illustration du thème étudié dans l’expérience ecclésiale antérieure et actuelle, retour aux sources biblicothéologiques. Ses différentes pièces sont globalement de deux factures : la relecture des expériences missionnaires et l’élaboration de réflexions plus théoriques sur la question abordée.

Par ailleurs, l’intérêt de ce dossier tient à sa participation à une discussion d’intérêt public : la question du genre est l’une des composantes d’une indéniable « révolution anthropologique » qui jette le « trouble dans la définition de l’humain » et ce dossier apporte sa contribution en vue de « prendre la mesure » de cette « crise 1 ». Il transpose le débat sur le terrain de l’évangélisation, un peu comme d’autres organes de réflexion 2 ; mais il le fait en se distinguant par une attention particulière à la complémentarité homme-femme et par sa perspective résolument théologique et pastorale. Et si la mission qui se décline au féminin et au masculin consistait à féminiser le masculin et à masculiniser le féminin dans le respect de l’irréductible altérité de l’une et l’autre modalité de l’humanité…

Elvis Elengabeka