Droits humains : socle d'humanité
N°231 - Juin 2018
"UN PHARE POUR L'ESPOIR DES PEUPLES"
Quelques mois avant son élection, l’actuel président des États-Unis affirmait : « La torture… ne me dites pas que c’est inefficace. Moi, je peux vous le dire : la torture, ça marche ! » Si besoin était, voilà qui a de quoi réveiller notre vigilance. Dans quelques mois, nous allons célébrer le soixante-dixième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Le 9 décembre 1948, la veille de sa proclamation par l’Assemblée générale des Nations unies, ce texte était salué par René Cassin comme « un phare pour l’espoir des peuples ». Et, au lendemain du désastre de la Seconde Guerre mondiale, la Déclaration a effectivement soulevé un grand espoir : on avait là un socle d’humanité, un symbole, lié à l’existence de l’ONU elle-même, de ce que tous les humains ont en commun, une sorte de voie d’issue à la barbarie. Dans les décennies qui ont suivi, nombre de ces principes se sont traduits en conventions et lois internationales ayant montré une certaine efficacité.
Mais l’actualité de ces dernières années vient nous rappeler que, dans ce domaine, rien n’est jamais définitivement acquis. Et cela, non seulement à l’autre bout du monde, parmi des peuplades perçues comme en marge du mouvement mondial, mais au coeur même des peuples bien convaincus d’être « civilisés ». Sans être toujours aussi cyniques que la déclaration évoquée au début de cet éditorial, se mettent en place des pratiques qui tendent à relativiser le poids des droits humains et leur valeur universelle. Ainsi, par exemple, dans la mesure où leur pays est touché par le terrorisme ou la crise des migrants, bien des gouvernements, soucieux à juste titre de préserver leur population, en viennent à prendre certaines mesures « fortes » pas toujours respectueuses des droits humains ; des mesures dont ils ne perçoivent sans doute pas toutes les conséquences possibles. Parfois, d’autres motivations encore moins nobles sont aussi à l’oeuvre.
Au lendemain des tragédies associées à la Seconde Guerre mondiale, les signataires de la Déclaration de 1948, de même que bien des gens de leur génération, avaient une vive conscience de ce à quoi pouvait mener le mépris des droits humains. Mais, ayant en partie oublié cette histoire-là et se retrouvant face aux difficultés mondiales actuelles, qui sont bien réelles, nos contemporains ont plus facilement tendance à se rabattre sur une position défensive peu regardante quant aux moyens.
La conscience que, soixante-dix ans après la proclamation de la DUDH par l’ONU, le combat en faveur des droits humains reste d’actualité a motivé l’élaboration du présent dossier. Il ne peut être question d’en aborder ici tous les aspects. Nous avons privilégié l’un ou l’autre des domaines où s’impliquent davantage des agents de la mission proches de nos lectrices et lecteurs et susceptibles de stimuler leur propre engagement. C’est ainsi qu’après un article introductif montrant la pertinence globale des droits humains et leur proximité avec une vision chrétienne de l’existence, deux contributions qui se complètent soulignent l’ampleur et la perversité de la traite des êtres humains, dans le cadre de la prostitution notamment, ainsi que la difficulté de s’y attaquer, en raison surtout du caractère international de ses réseaux. Une autre contribution met en lumière les racines et la réalité souvent maquillée de l’exploitation de personnes dans le monde du travail au Brésil, et comment il est possible de la combattre ; une exploitation qui existe aussi ailleurs, dans bien d’autres contextes. Est abordée ensuite la question de savoir dans quelle mesure les valeurs traditionnelles des cultures particulières sont des points d’appui en
faveur de la dynamique des droits humains ou, au contraire, des obstacles venant contester leur caractère « universel ».
Le dernier article tranche avec ceux qui précèdent : il pourra surprendre, non seulement parce qu’il se réfère à des réalités encore assez peu connues, mais aussi parce qu’il fait état de préoccupations qui semblent n’avoir que fort peu de rapport avec celles qui alimentent le reste du dossier. À y regarder de plus près, ces propos ont le mérite de nous introduire à des revendications qui pourraient bien prendre de l’ampleur dans les années à venir, tout en montrant que, s’il est opportun de faire profiter le plus grand nombre de gens des avancées des sciences et techniques, une compréhension trop individuelle des droits humains, les déliant des devoirs qui leur sont associés, ne peut manquer d’inquiéter.
Jean-Michel Jolibois
Sommaire
ACTUALITÉ MISSIONNAIRE
Christian Berton : Accueil de migrants. Appels et réponses dans les Hauts-de-France
Régis Waquet : Henri Burin des Roziers (1930-2017), frère des pauvres
DOSSIER : DROITS HUMAINS, SOCLE D'HUMANITÉ
Guy Aurenche : Qu’est-ce que l’homme pour que tu t’en soucies ?
Patricia Ebegbulem : Traite humaine pour prostitution forcée : des religieuses s’engagent dans la lutte
Marie Hélène Halligon : Affronter la traite des êtres humains : un combat à armes inégales
Xavier Plassat : La lutte contre l’esclavage au Brésil : l’Église et la Commission pastorale de la terre
Daniel Legutke : Droit humains et traditions culturelles. Un conflit entre universalité et cultures locales ?
Stanislas Deprez : Transhumanisme : rêves technologiques et revendications individualistes
CHRONIQUES
Évêques d'Algérie : Communiqué à propos de la béatification de Mgr P. Claverie et de ses dix-huit compagnes et compagnons
Faustin Ambassa Ndjodo : Un moment de rencontre et de fraternité : le XVe chapitre général des Missionnaires de Scheut (CICM)
Anne Béatrice Faye, Marguerite P. Sadjo, Philippe A. Tine : Comment, jeune, donner un sens à sa vie ?
Colloque international sur la jeunesse – Dakar 26-27 janv. 2018