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AUTORITÉ ET SERVICE DANS L'ÉGLISE

N°239 - Juin 2020

SUR LE CHEMIN DE GRATUITÉ
AUTORITÉ ET SERVICE DANS L’ÉGLISE

Ce numéro 239 de la revue Spiritus porte les stigmates des scandales sexuels qui ébranlent l’Église. Les chrétiens font l’expérience de la fragilité de leurs institutions et de leurs pasteurs. Une terrible cure de modestie qui met à mal la foi de beaucoup, mais qui conduit aussi à une profonde solidarité avec les victimes des abus et à une remise en cause déchirante. Une souffrance pour nous tous, car « lorsqu’un membre souffre, c’est tout le corps qui souffre » (1 Co 12, 26). Le pape François désigne comme principale cause de ces scandales, un exercice de l’autorité contraire au projet de Dieu, manifesté en son fils.

En effet, la question de l’autorité est si cruciale que, pour l’auteur biblique, le péché des origines, celui de tous les jours, c’est la volonté de puissance (Gn 1 – 11). Au lieu d’être considéré comme partenaire et ami, Dieu est pris pour un redoutable rival dont on a peur et dont on veut usurper le pouvoir. On entend prendre sa place comme référence suprême. Or, l’orgueil fait le lit de la violence. Et, lorsque la personne humaine s’enivre d’autorité, elle détruit tout sur son passage. Alors, le mâle cherche à dominer son épouse, pourtant « l’os de ses os ». La relation harmonieuse avec la création se mue en prédation. L’émulation socio-économique entre agriculteurs sédentaires et bergers nomades vire à la lutte fratricide, quasi bestiale. À Babel, la diversité des langues devient source de domination et de divisions.

Bref, tel le déluge, l’instinct de puissance, tapi au cœur de toute personne, de toute institution et de toute culture, emporte sur son passage les valeurs éthiques et spirituelles de respect de tout autre. Fort heureusement, Dieu nous offre toujours les possibilités de bâtir un monde autre, symbolisé par l’alliance noachique. C’est dans cette dynamique que Spiritus essaie ici de répondre à la question radicale, « celle du comment exercer le pouvoir et l’autorité dans l’Église qui rende impossible les abus sur l’autre ».

Pour ce faire, il convient de se ressourcer à l’expérience fondatrice de Jésus, en réécoutant le débat autour de l’impôt dû à César. Il affirme l’autorité absolue de Dieu, qui relativise et désacralise toutes les formes d’autorité humaine : familiale, socio-politique, mais surtout religieuse et spirituelle. Dans un monde marqué par l’autoritarisme, les Pères redisent que l’Église est une communauté de frères, unis dans la diversité de leurs charismes. Pour le Concile Vatican II, l’Église doit traduire cette communion dans ses ministères, sa spiritualité et son éthique. L’histoire de l’Église de Corée est un bel exemple du travail de l’Esprit soufflant à travers des laïcs qui ont fondé cette Église, l’ont organisée et l’ont fécondée de leur sang. C’est pourquoi, face à la tentation omniprésente du pouvoir, l’Église témoigne de son altérité bienveillante et de l’accueil des plus pauvres. De même, elle rappelle les garde-fous juridiques, institutionnels et socio-culturels qui protègent les enfants et les adultes fragiles contre l’autoritarisme. Pour juguler les abus contre les femmes et répondre aux défis de reconnaissance auxquels elles se heurtent, ne faudrait-il pas qu’elles prennent la part de responsabilité qui leur revient dans le service de la communion ecclésiale ?

En somme, nous sommes renvoyés à notre témoignage chrétien et pastoral : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). À ses disciples, hantés eux aussi par l’appétit du pouvoir, Jésus demande de ne se poser ni en maîtres ni en bienfaiteurs, mais en serviteurs « sans utilité », c’est-à-dire totalement désintéressés, libérés de toute tentation de prise sur autrui. Cette gratuité est bien l’originalité et le coeur du projet de Dieu en Jésus, de la mission qu’il confie à ses disciples-missionnaires. Mais, la gratuité est chemin de conversion, de dépouillement et de communion ; chemin de rencontre du Crucifié et de tous les blessés de nos institutions ; chemin du Ressuscité qui nous brûle de sa parole et nous nourrit de son corps ; chemin où laïcs et clercs, femmes et hommes, enfants et adultes, tous, du fond de leur fragilité, s’essayent à témoigner de la tendresse du Père. Finalement, la gratuité est chemin d’espérance et de supplique. Ce que dit François face à la détresse du Covid 19 vaut également ici : « La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes ! » (Pape François, Homélie, Vendredi Saint, 2020).

Paulin Poucouta

AUTORITÉ ET SERVICE DANS L'ÉGLISE

Sommaire

Édito : Sur le chemin de la gratuité…

Actualité missionnaire

Une lecture de Querida Amazonia (François GLORY)
Dans Querida Amazonia, François nous fait part de ses quatre rêves : le
social, le culturel, l’écologique et l’ecclésial. Il s’inspire de l’exemple de
Dorothy et de tant de martyrs d’Amérique latine qui ont et continuent à
donner leurs vies pour les peuples d’Amazonie.

Quelle place pour la femme dans l’Église syriaque ? (Ameer JAJÉ)
Dans l’Église de tradition syriaque, se sont développées depuis le premier
siècle des conceptions qui définissent les fonctions et les rôles assignés aux
femmes. Des statuts ont été ainsi précisés, allant de celui de veuves,
diaconesses, vierges, Bnath Qyama (filles du pacte ou de l’alliance) et,
enfin, à celui de religieuses.

Enjeux théologiques de la formation des laïcs (Catherine CHEVALIER)
L’auteure propose un petit détour par les débats qui ont agité la réflexion
sur la formation chrétienne des adultes dans les dernières décennies du
XXe siècle. Sur cette base, elle nous donne quelques orientations pour ceux
qui ont aujourd’hui des responsabilités de formation en Église.

Dossier : Autorité et service dans l’Église

Jésus et l’autorité : « … À Dieu, ce qui est à Dieu » (Albert Ngengi Mundele)
Pour évangéliser la pratique et l’imaginaire de l’autorité, l’auteur relit la
célèbre controverse autour de l’impôt impérial. Il le fait en trois temps :
redécouverte de cet épisode qui relève de la triple tradition, présentation des
diverses autorités convoquées, ouverture à la théologie et à l’éthique de
l’autorité qui nous engage au service, à la suite du Crucifié.

Co-disciples et co-serviteurs du Christ selon nos aînés dans la foi (Michel DUJARIER)
Comment les chrétiens des premiers siècles ont-ils répondu à l’exigence de
service apprise de Jésus ? N’ont-ils pas eu tendance à cesser de se mettre
au service de leurs frères ? Et les responsables des communautés
ecclésiales n’ont-ils pas été tentés de s’appuyer sur leur autorité et leur
pouvoir pour se faire servir au lieu de servir ?

Autorité et service, à la lumière de Vatican II (Luc FORESTIER)
Dans sa Lettre au peuple de Dieu du 20 août 2018, le pape François a
clairement désigné le « cléricalisme » comme l’une des causes majeures
des scandales auxquels l’Église fait face. Ce qui conduit à réfléchir à la
responsabilité diversifiée des chrétiens et des chrétiennes, laïcs, religieux
ou ministres ordonnés, à la lumière du concile Vatican II.

Protection canonique des enfants dans l’Église famille de Dieu (Clement Chimoabi EMEFU)
Un renouveau de la mission primordiale de l’Église fait de la protection des
enfants et des adultes vulnérables un problème particulièrement urgent,
dans l’Église famille de Dieu. Mais les dispositions légales du droit
canonique ne suffisent pas. Il convient de s’inspirer de l’expérience
africaine traditionnelle du rapport à l’enfant.

La communauté chrétienne : lieu de l’altérité bienveillante (Luis Martinez SAAVEDRA)
Face à la tentation du pouvoir, la communauté des disciples du Christ
pauvre et crucifié n’a pas d’autre moyen pour rendre présent le Royaume
donné aux pauvres que celui du témoignage de son altérité bienveillante,
accueillant avec sympathie l’altérité du monde, et spécialement celle des
minorités, des pauvres et des petits.

Des laïcs, fondateurs de l’Église de Corée (Alexandre ROGALA)
L’histoire merveilleuse de l’Église de Corée, fondée par des laïcs, rappelle
celle de l’Église primitive. Elle anticipe le Concile Vatican II qui rappelle
que la mission est autant celle des laïcs que des prêtres et des évêques, tous
serviteurs et servantes du Christ et de l’humanité. Elle est marquée par le
témoignage, la simplicité et le service.

Les femmes et le pouvoir dans l’Église (Geneviève MÉDEVIELLE)
Comme femme et religieuse dans l’Église, en lisant cette crise comme un
symptôme du cléricalisme de l’institution, l’auteure est tentée de croire
que, si celle-ci donnait plus de place et de pouvoir aux baptisés laïcs, nous
éviterions des postures de toute-puissance qui sont à la base de ces abus.
C’est pourquoi, aujourd’hui alors que les femmes affrontent encore de
nombreux défis de reconnaissance, il nous faut comprendre ce que peut
représenter l’exercice du pouvoir « au féminin » dans l’Église.

Chroniques

La mission aujourd’hui, hier et demain. Compte-rendu du colloque
« Omnes Gentes » (Éric NZEYOMANA)
En novembre 2019, Omnes Gentes de Belgique a organisé un colloque qui
a rassemblé des théologiens et agents pastoraux d’Europe, d’Asie et
d’Afrique, dans le cadre de la célébration du centenaire de la lettre
apostolique Maximum Illud de Benoît XV.

« Protéger toute vie ». Le pape François au pays du Soleil
Levant (Maria Angela DE GIORGI)
Attendue et souhaitée, la visite du pape François au Japon, du 23 au
26 novembre 2019, a profondément marqué l’Église et la société
japonaises. Officiellement invité par le Premier ministre Shinzo Abe, et à
plusieurs reprises par les évêques japonais, le pape François fut accueilli
avec respect, intérêt et enthousiasme.

Livres
Recensions
Cris Beauchemin et Mathieu Ichou (dir.), Au-delà de la crise des
migrants : décentrer le regard.
Benjamin Lee Hegeman, L’Évangile en pays baatonou (Bénin) : De
l’hostilité à l’harmonie en Christ 1940-2000.
Jean Isidore Nkondog, Le christianisme : une affaire africaine ?
L’intervention de la théologie et du christianisme en contexte

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