DIEU QUESTIONNÉ : QUELLE MISSION ?
N°240 - Septembre 2020
Qu’as-tu de ta sœur ? Qu’as-tu fait de ton frère ?
Où est-il donc ton Dieu ? Qui est-il ton Dieu ? Existe-t-il ton Dieu » ? Ces questions qu’entend le psalmiste, particulièrement dans les moments de crise, témoignent d’une expérience universelle, celle du Dieu questionné, même dans des contrées où la religiosité est bien vivace. Ces questionnements, dont la forme et l’expression varient selon les continents et les réalités socio-culturelles, ne sont pas anodins. Ils nous interpellent dans notre mission. Ce qui justifie le dossier que le numéro 240 de la revue Spiritus y consacre.
Il s’ouvre par des précisions terminologiques et une analyse des ressorts historiques, psychologiques et socio-anthropologiques de l’indifférence religieuse. Après, nous reviendrons à la Bible où le dialogue entre Dieu et l’homme s’exprime souvent en termes de questionnements sur l’identité et le scandale du mal, prélude au cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34//).
Mais comment questionner Celui qui est au-delà de notre pensée, sinon par la maîtrise de soi, la méditation, le dépouillement ? C’est là la démarche du bouddhisme, qui annonce Celui qui s’est vidé lui-même par amour (cf. Ph 2, 6-11). En Afrique, quand il n’est pas nié, Dieu est questionné dans la lecture d’une histoire douloureuse, dans la détresse du quotidien, mais aussi lorsqu’il est pris en otage par des extrémismes religieux. En Occident, où l’espace religieux semble se rétrécir, ces questionnements s’expriment, entre autres, par la sécularisation qui revendique l’autonomie de la personne et de la sphère publique. Cette démarche, intérieure au christianisme lui-même, convie « à repenser la relation foi et raison pour vérifier comment l’affirmation de Dieu peut y garder sa pertinence ». Nous
redécouvrons Celui qui s’intéresse tellement à la personne qu’Il la respecte dans ses interrogations, ses doutes et même ses refus. Jésus le présente comme le père qui laisse partir son fils cadet, sans le retenir. À son retour, il l’accueille, sans chantage aucun (cf. Lc 15, 11-32).
En ce sens, la sécularisation, comme toutes les formes de questionnement, renouvelle l’annonce. Elle donne « une chance à l’Église, une chance considérable, celle de s’appauvrir et de revenir à son envoi originel : une vie de relations fraternelles » (Mgr Albert Rouet, p. 350). Nous redécouvrons que Dieu est chemin de fraternité.
Comme pour les premiers chrétiens, cette fraternité se ressource dans « l’enseignement des apôtres, la fraction du pain et les prières » (Ac 2, 42). Elle s’actualise dans le partage, la justice et les droits humains, l’égalité hommes/femmes, le dialogue interculturel et interreligieux, les luttes pour l’écologie intégrale. Elle s’éprouve de manière particulière dans les moments de crise et de persécutions. Mais, quelle que soit la manière dont on en témoigne, par la parole et par les actes, la fraternité est un engagement au quotidien, à la fois modeste et audacieux, discret et lumineux, toujours respectueux de l’autre.
En somme, la question de Dieu appelle celle de la fraternité qui est au cœur de la vie et de la mission chrétiennes. La fraternité est le lieu où nous nous rencontrons, dans la pluralité de nos convictions et de nos trajectoires. Elle est la marque de l’humain en nous, en nos institutions, en notre histoire. C’est pourquoi, hier comme aujourd’hui, à nos légitimes questionnements existentiels, Dieu répond de diverses manières, certes, mais principalement par la question qu’il pose à Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère Abel ? » (cf. Gn 4, 9-10). Ce qui se traduit dans le quotidien : « Que fais-tu donc de ta sœur ? Que fais-tu donc de ton frère ? ».
Paulin Poucouta
Sommaire
Édito : Que fais-tu donc de ta soeur ?
Que fais-tu donc de ton frère ?
Actualité missionnaire
Réflexions sur le Document final du Synode de l’Amazonie
et l’Exhortation apostolique « Querida Amazonia » (Sidnei Marco DORNELAS)
Sidnei Marco Dornelas a vécu de près la préparation et la célébration
du synode panamazonien. Il revisite pour nous le Document final et
l’Exhortation apostolique, montrant la complémentarité entre les deux
textes. Surtout, il attire notre attention sur les conversions pastorale,
culturelle, écologique et synodale auxquelles nous convie cet
événement ecclésial.
L’Église du Sénégal : enjeux actuels de la mission (Jean-Claude ANGOULA)
Les papes Benoît XVI et François ont fort apprécié le dynamisme de
l’Église catholique sénégalaise. Néanmoins, les nouvelles donnes
socio-religieuses « du pays de la Teranga » (de l’hospitalité) et les
mutations internationales invitent les chrétiens à penser autrement la
différence intra-ecclésiale et interreligieuse, ainsi que l’engagement
dans la société. Il s’agit d’inventer une manière autre d’être Église.
Dossier : Dieu questionné, quelle mission ?
L’indifférence religieuse : ressorts socio-anthropologiques
et défi pour la mission (Ambroise LAURENT)
L’indifférence religieuse se présente comme un fait, à la fois massif et
silencieux, qui se répand dans nos sociétés. Après en avoir précisé la
terminologie, l’auteur situe les faits, avant d’en analyser les ressorts
psychosociologiques et anthropologiques. Il propose en conclusion une
réflexion sur les enjeux de l’indifférence religieuse pour la mission.
Dieu questionné dans la Bible (Joëlle FERRY)
L’Écriture est un long et infini dialogue de l’humanité avec Dieu. Que
d’invitations à la louange, que de paroles adressées au Seigneur pour le
louer, en des paroles personnelles ou communautaires. La relation à
Dieu se dit et s’approfondit aussi dans l’interrogation, le questionnement
qui tient une large place dans la Bible.
Le bouddhisme et la question de Dieu (Peter BAEKELMANS)
Lorsqu’on l’interrogeait sur Dieu (Brahma ou Brahman), le Bouddha
avait l’habitude de garder le silence. En effet, dans le bouddhisme, il
n’y a pas grand-chose qui permette de « spéculer » sur Dieu. Mais cela
ne signifie pas qu’il n’y a pas de dieu dans le bouddhisme et que le
bouddhisme est une religion athée. Dieu est au-delà de notre pensée.
Dieu questionné en Afrique (Edouard ADÉ)
La présente contribution s’efforce dans un premier temps de resituer le
paradoxe historique du passage de la perception d’une Afrique athée à
une Afrique incurablement religieuse. Elle cherchera ensuite à repérer
des indices du questionnement de Dieu dans le vodun. Enfin, elle
envisagera les niveaux où le questionnement de Dieu se fait aujourd’hui
en Afrique. Ce qui aboutira à préciser le contenu de ce questionnement.
Théologie et sécularisation :
nouvelle donne pour la foi et la raison (Jean-Louis SOULETIE)
Pour la théologie contemporaine, la sécularisation moderne est un fait
inéluctable. Elle ne serait que l’aboutissement du mouvement de
désacralisation dont les prophètes d’Israël ont été les initiateurs contre
toute forme de sacré et d’idolâtrie. Cette sécularisation intérieure au
christianisme nécessite de repenser la relation foi et raison pour vérifier
comment l’affirmation de Dieu peut y garder sa pertinence.
Sécularisation et annonce renouvelée (Albert ROUET)
La sécularisation ne se positionne pas contre le message de l’Église.
Elle se situe ailleurs. Y répondre par le fondamentalisme théologique,
spirituel ou institutionnel, c’est se positionner dans un monde dont on
ne perçoit pas la nouveauté. En effet, la sécularisation donne à l’Église
une chance considérable, celle de s’appauvrir et de revenir à sa mission
originelle : une vie de relations fraternelles.
Varia
Joseph Cardijn : la fécondité du « voir, juger, agir » (Thierry TILQUIN)
L’auteur veut rendre compte de la fécondité de l’action et de la méthode
de Joseph-Léon Cardijn. Pour cela, dans un premier temps, il nous
replonge dans sa vie. Dans un second temps, quelques exemples
mettront en exergue cette fécondité en matière d’action sociale, de
formation et de pratiques théologiques et ecclésiales.
Chroniques
Les Églises du Burkina Faso dans la tourmente (Jean-Paul SAGADOU)
Le Burkina Faso est aujourd’hui rongé par le virus d’un terrorisme qui
frappe tout le monde, mais surtout les chrétiens. Dans l’Église
catholique, les catéchistes, piliers de l’évangélisation des villages, sont
particulièrement visés. Mais, malgré les violences dont ils sont victimes,
les chrétiens continuent à témoigner de la possibilité du vivre ensemble.
L’Église en Haïti : entre soumission et révolte (Jean-Yves URFIÉ)
L’Église d’Haïti a du mal à sortir du contexte d’oppression et
d’injustices qui a vu naître et grandir la première république noire.
Mais les interpellations du vaudou et le réveil de communautés
chrétiennes et religieuses raniment dans cette Église le souffle de
Vatican II. N’est-ce pas là une des nombreuses raisons d’espérer ?
Livres
Recensions
François-Xavier Amherdt, Le mystère pascal. Aller au coeur de la foi.
Marie-Hélène Robert (dir.), L’accueil des nouveaux convertis dans les
communautés chrétiennes. Actes de colloque, janvier 2017.
Dysmas de Lassus, Risques et dérives de la vie religieuse.
Wilfrid Okambawa, Le Superleadership par le dépouillement et l’amitié.